Impact sur les écoles de sciences infirmières du plafond pour les étudiantes et étudiants étrangers

Effects of International Student Cap on Schools of NursingMémoire au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) de la Chambre des communes

Résumé

Monsieur Jean Daniel Jacob, Ph. D., directeur général de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI), discute des défis importants pour la formation en sciences infirmières, notamment en ce qui concerne les étudiantes et étudiants étrangers. Alors que ces étudiantes et étudiants aident à pallier les besoins locaux en matière de soins, les récentes réformes menacent la durabilité de ces programmes de formation. La pandémie de COVID-19 a amplifié la pénurie de main-d’œuvre infirmière, ce qui a amené le gouvernement provincial à accorder du financement pour accroître rapidement la capacité d’admission des programmes. Les réformes actuelles ont créé un contexte dans lequel les pressions accrues sur les programmes de formation en sciences infirmières sont exacerbées par la raréfaction des ressources à l’intention des membres du corps professoral et des étudiantes et étudiants. Une pénurie de personnel enseignant frappe les écoles de sciences infirmières au Canada, comme beaucoup de postes sont vacants et beaucoup de membres du corps professoral prennent leur retraite. En fin de compte, l’avenir de la formation en sciences infirmières au Canada dépend d’un financement public durable et d’une collaboration impliquant les établissements d’enseignement, l’ensemble des niveaux de gouvernement et les communautés afin de veiller à ce que les programmes conservent un soutien adéquat et leur capacité à former une main-d’œuvre diverse et bien préparée.

Jean Daniel Jacob, RN/IA, PhD
Executive Director | Directeur Général
Canadian Association of Schools of Nursing
Association canadienne des écoles de sciences infirmières
www.casn.ca/fr


Impact sur les écoles de sciences infirmières du plafond pour les étudiantes et étudiants étrangers

Bonjour à tous. Je m’appelle Jean Daniel Jacob, et je suis le directeur général de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières, un poste que j’occupe depuis le début novembre. Avant d’entamer ce nouveau rôle, j’étais directeur de l’école des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa. Aujourd’hui, je vais tenter de vous offrir une perspective pancanadienne sur cette question en me fiant, entre autres, à mon expérience pratique associée à l’admission d’étudiantes et étudiants internationaux dans les programmes de formation en sciences infirmières.

J’aimerais vous offrir un peu de contexte. L’Association canadienne des écoles de sciences infirmières, ou l’ACESI, est une association nationale dont l’adhésion est bénévole. Nous représentons les programmes de sciences infirmières au niveau du baccalauréat et des études supérieures, c’est-à-dire, des programmes d’accès à la pratique pour les infirmières et infirmiers autorisés et infirmières et infirmiers praticiens, ainsi que des programmes de maîtrise et de doctorat en sciences infirmières. La mission de l’ACESI est notamment de soutenir la prestation d’une formation en sciences infirmières de haute qualité par l’agrément des écoles de sciences infirmières et leurs programmes de sciences infirmières respectifs, la création de normes, de ressources et d’initiatives de formation continue qui font la promotion de l’excellence dans l’enseignement, et la représentation de la formation en sciences infirmières au niveau national, ce qui explique ma présence devant vous aujourd’hui.

Les étudiantes et étudiants internationaux représentent un pourcentage relativement faible des inscriptions aux programmes de sciences infirmières. Les données les plus récentes dont nous disposons proviennent de Statistique Canada, avant la pandémie de COVID-19, et nous révèlent que les étudiantes et étudiants internationaux représentaient à ce moment entre 2,6 % à 4,7 % des inscriptions.

L’ACESI recueille chaque année, auprès des écoles de formation en sciences infirmières, des informations sur le nombre de demandes d’admission, d’étudiantes et étudiants et de diplômées et diplômés de programmes de formation en sciences infirmières. Malheureusement, nous ne suivons pas actuellement le nombre de demandes et d’inscriptions d’étudiantes et étudiants étrangers. Cependant, il est possible d’examiner les effets globaux des réformes en considérant leur impact total sur les programmes en question, que ces impacts soient directs ou indirects.

À la suite de la pandémie de COVID-19, le Canada a connu une grave pénurie d’effectifs infirmiers, créant une situation qui continue d’entraîner des répercussions sur les soins de santé. En réponse à ce besoin aigu d’infirmières et infirmiers, les gouvernements provinciaux ont demandé une augmentation du nombre de places dans les écoles de sciences infirmières ainsi qu’une compression des options de programmes dans tout le Canada. Ce financement provincial à court terme a permis aux écoles de répondre à cette crise en augmentant le nombre de places dans la plupart des programmes de sciences infirmières, y compris les programmes d’infirmières et infirmiers auxiliaires, autorisés et praticiens.

Il existe une tension directe entre le financement provincial des places en sciences infirmières et les réformes réglementaires, tension qui a un impact sur les budgets des universités et des collèges. Ces diminutions globales de budget affectent les écoles et programmes de sciences infirmières en augmentant la charge de travail d’un nombre restreint d’employés et d’enseignantes et enseignants, et en diminuant le soutien et les services pour les membres du corps professoral et les étudiantes et étudiants (services de santé mentale, centres d’aide à l’écriture, etc.).

Le plafonnement du nombre d’étudiantes et étudiants internationaux et d’autres changements réglementaires sont davantage ressentis dans les communautés et les établissements ruraux. Par exemple, certaines universités et certains collèges du Canada Atlantique comptent une plus grande proportion d’étudiantes et étudiants étrangers. Au-delà des implications financières pour les écoles, nous pouvons constater, dans certains endroits, une dépendance à l’égard des étudiantes et étudiants étrangers diplômés en sciences infirmières pour combler les pénuries dans les établissements de soins de santé locaux. Ceci s’applique tout particulièrement aux programmes dans des établissements et des contextes de minorité linguistique, et qui comptent sur les étudiantes et étudiants étrangers pour répondre aux besoins de plus en plus diversifiés de l’industrie de la santé et de la population. Les réformes actuelles ont donc une incidence considérable sur les besoins des provinces en matière de ressources humaines dans le domaine de la santé et accroissent la vulnérabilité des programmes de sciences infirmières qui sont précaires, mais essentiels. À court terme, les décisions ont une incidence sur la viabilité des programmes (leur fermeture, les licenciements, les gels d’embauche, etc.). À long terme, elles ont un effet sur la capacité des établissements d’enseignement à répondre aux besoins croissants d’une population diversifiée.

Également, dans l’ensemble, les inscriptions d’étudiantes et étudiant internationaux n’atteignent même pas le nouveau seuil récemment fixé par les gouvernements, ce qui suggère un effet dissuasif sur la volonté de ces personnes d’étudier au Canada à la suite de la réforme. Les infirmières et infirmiers ayant obtenu un doctorat ou une maîtrise en sciences infirmières ont une incidence sur la qualité de la pratique infirmière à l’échelle internationale. De plus, ces programmes de cycles supérieurs favorisent la mobilité des infirmières et infirmiers pour qu’ils viennent travailler au Canada.

Les réformes ont également un impact sur le nombre d’étudiantes et étudiants inscrits à des programmes de cycles supérieurs en sciences infirmières. Le Canada souffre d’une pénurie d’infirmières et infirmiers titulaires d’un doctorat ou d’une maîtrise. Les points saillants de l’Enquête nationale sur les effectifs étudiants et professoraux (ACESI, 2024) révèlent que :

  • En 2023, les écoles n’ont pas été en mesure de pouvoir 78 postes permanents et contractuels à long terme, et se sont par la suite retrouvées avec un besoin de combler 200 postes permanents et 100 postes contractuels à long terme en 2024.
  • 77 membres du corps professoral permanents ont pris leur retraite en 2023.
  • 39,1 % des écoles ont signalé un manque d’infirmières et infirmiers titulaires d’un doctorat ou d’une maîtrise parmi les personnes ayant postulé.

La mise en place d’un programme d’enseignement durable et la création d’une main-d’œuvre durable nécessitent une réflexion approfondie de la part des établissements et des gouvernements provinciaux et fédéral. Toutes les étudiantes et tous les étudiants, y compris celles et ceux venant de l’étranger, devraient s’inscrire à un programme de sciences infirmières qui dispose des ressources matérielles et humaines nécessaires, notamment des salles de classe, des équipements de laboratoire et des stages en milieu clinique, pour offrir une expérience éducative de haute qualité, et permettre aux étudiantes et étudiants de réussir leur programme et passer l’examen d’admission. Une formation de cycle supérieur en sciences infirmières est requise pour la plupart des postes au sein du corps professoral dans les écoles de sciences infirmières et a donc un impact direct sur la durabilité de la main-d’œuvre infirmière.

Information suivant la comparution

Prévisions en matière de besoins en soins de santé : Pendant la rencontre, des détails ont été transmis concernant les besoins prévus pour le secteur de la formation en sciences infirmières au Canada en fonction des données du sondage annuel de l’ACESI auprès des étudiantes et étudiants et des membres du corps professoral. On a demandé que l’ACESI communique de l’information sur les besoins prévus en ressources humaines dans le secteur des soins infirmiers cliniques, en plus des détails fournis.

La source la plus récente et la plus citée au sujet de la pénurie de personnel infirmier au Canada, qui date de 2019, soit avant la pandémie, estime un besoin de 100 000 infirmières et infirmiers d’un bout à l’autre du pays d’ici 2030 (Sheffler et Arnold, 2019). Les prévisions postpandémiques sont probablement plus élevées. Nous attendons avec impatience la publication de l’enquête sur l’offre en éducation et formation (SET, Supply of Education and Training) qui, nous l’espérons, mettra à jour certaines des prévisions.

Autres faits saillants importants de sources choisies

Impacts financiers

  • En se fondant sur les réformes, les universités ontariennes prévoient essuyer des pertes financières de plus de 300 millions de dollars en 2024-2025 comparativement aux résultats de 2023. De plus, si la tendance se maintient, ce nombre pourrait doubler pour atteindre plus de 600 millions de dollars l’année prochaine. L’incidence s’élève à près d’un milliard de dollars dans les deux premières années seulement (Conseil des universités de l’Ontario, 2024a).
  • Les coupes budgétaires en éducation du gouvernement ont eu des effets négatifs sur la dépendance des établissements d’enseignement à l’égard d’autres sources de revenus. Comme le relève le Conseil des universités de l’Ontario (CUO), « [Traduction] …en raison de leur longue tradition d’appui responsable des étudiantes et étudiants étrangers, les universités de l’Ontario sont parvenues à augmenter que modestement les admissions d’étudiantes et étudiants étrangers au fil des années, tout en offrant des services complets à l’ensemble des étudiantes et étudiants. » (2024a, par. 3). Avant les réformes fédérales, les étudiantes et étudiants internationaux représentaient moins de 20 % de la population étudiante de l’ensemble des universités en Ontario (CUO, 2024a).
  • En raison des réductions et des gels de frais de scolarité prolongés ainsi que de plusieurs années de coûts inflationnistes élevés, les universités ontariennes doivent composer avec des pressions financières importantes. Même en tenant compte du financement provincial pour les formations en science, en technologie, en ingénierie et en mathématiques (STIM) en 2023-2024, dix universités de l’Ontario épongeront un déficit de plus de 300 millions de dollars en 2023-2024. Comme l’indique le CUO, « [Traduction] …les déficits devraient se creuser en 2024-2025, alors qu’ils ne tiennent pas compte de l’incidence des changements récents apportés aux permis d’études pour les étudiantes et étudiants étrangers. » (2024a, par. 4).

Demandes d’admission aux universités de l’Ontario

  • En 2023 et 2024, les demandes d’admission de la part d’étudiantes et étudiants internationaux étaient considérablement inférieures au plafond et aux allocations aux provinces, ce qui indique que la réputation de l’éducation canadienne a faibli et que, par conséquent, les partenariats de recherche et les moyens d’attirer les talents mondiaux sont touchés. Les étudiantes et étudiants rapportent des expériences négatives.
  • Bien que 35 788 permis d’études aient été attribués aux universités de l’Ontario pour 2024-2025, il en reste 29 % de ce nombre, signifiant que le nombre d’inscriptions d’étudiantes et étudiants étrangers n’a pas atteint le seuil bas des gouvernements (Keung, 2024).

Programmes de cycles supérieurs

  • L’octroi de seulement 16 % des permis d’études pour des étudiantes et étudiants internationaux aux universités de l’Ontario pour 2024-2025 a limité leur capacité de recruter les meilleurs étudiantes et étudiants d’autres pays (CUO, 2024b).
  • L’annonce par le gouvernement fédéral de l’inclusion des étudiantes et étudiants des programmes de cycles supérieurs et de doctorat au plafond rendra le processus de demande d’admission plus complexe, ce qui risque de décourager les étudiantes et étudiants hautement compétents de présenter leur demande au Canada. » (CUO, 2024b, par. 4). Cette décision pourrait engendrer des répercussions au niveau de domaines comme les soins de santé, l’ingénierie, l’intelligence artificielle et les sciences de la vie. Comme le souligne le CUO, « [Traduction] …nous n’avons pas les moyens de perdre les talents, l’innovation et la recherche essentiels dont a besoin notre province. » (2024b, par. 4).
  • L’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario (OIIO) exige le statut de résident permanent ou la citoyenneté pour exercer la profession infirmière (s.d.). Plusieurs étudiantes et étudiants internationaux en sciences infirmières désirent obtenir la résidence permanente. Le plafond introduit s’avère un obstacle pour les programmes conçus pour pallier les pénuries de main-d’œuvre.
  • Les étudiantes et étudiants internationaux qui ne bénéficient pas de soutien financier devront démontrer avoir accès à un minimum de 20 000 $ comptant. Comme l’administration des universités évalue les dossiers au cas par cas, les étudiantes et étudiants doivent présenter une preuve de fonds insuffisants et attendre que leur demande de visa soit refusée pour devenir admissible au soutien (Woolf, 2023).

Recommandations émises au CIMM

Il est possible d’améliorer la capacité générale de la formation en sciences infirmières à répondre aux divers besoins du système de santé et de la population en ciblant les priorités suivantes :

  • Évaluer les impacts des réformes réglementaires sur le bassin de futures infirmières et futurs infirmiers : Les gouvernements provinciaux doivent envisager des stratégies à long terme pour remédier à la pénurie de personnel infirmier. Par conséquent, il est urgent d’évaluer les effets directs et indirects des changements réglementaires sur l’admission d’étudiantes et étudiants étrangers et leurs répercussions sur les programmes de sciences infirmières, plus particulièrement dans les milieux ruraux et en situation de minorité linguistique.
  • Soutenir l’éducation publique : Les gouvernements provinciaux doivent accorder la priorité à l’éducation publique en sciences infirmières et investir dans celle-ci, puisqu’elle est le fondement d’un système de santé robuste et efficace. La création de systèmes qui dépendent d’autres sources de financement pour assurer leur fonctionnement opérationnel est une menace pour les programmes essentiels, comme ceux des sciences infirmières. Par conséquent, un financement soutenu et suffisant des programmes de sciences infirmières (pour l’ensemble des cycles) est nécessaire pour qu’il y ait un nombre suffisant d’enseignantes et enseignants, d’étudiantes et étudiants, de ressources et de services de soutien.

À propos de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières

L’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI) est le porte-parole national en matière de formation, de recherche et de scholarship en sciences infirmières, et représente les programmes de baccalauréat et d’études supérieures en sciences infirmières à travers le Canada. La raison d’être de l’ACESI consiste à orienter la formation infirmière et le scholarship en sciences infirmières pour appuyer une meilleure santé des Canadiennes et des Canadiens.

Pour plus d’information :

Association canadienne des écoles de sciences infirmières
Site Web : www.casn.ca/fr

Références


Téléchargez le mémoire du Directeur Général de l’ACESI présenté au CIMM